Réflexions, pensées et impressions, saisies au fil des jours
L’esprit chemine par les mots. Toute contradiction est assumée.
Impression #11
L’amour fait parfois de nous de simples allumettes : il nous frotte à l’autre comme à un grattoir, fait jaillir l’étincelle, s’assure que le feu prenne, puis nous laisse nous consumer tout seul – le grattoir, lui, ne s’enflamme jamais. Certaines personnes sont d’ailleurs des grattoirs professionnels, qui excellent à embraser les allumettes dès le premier contact, parfois sans même s’en rendre compte, et demeurent impassibles, inaltérables, dans l’attente de la prochaine tête soufrée que le destin leur enverra ; on peut les suivre aux bâtonnets tordus et carbonisés qu’elles laissent dans leur sillage.
Impression #10
L’amour a ceci de commun avec la mort et la défécation qu’il se moque des statuts ou des privilèges : il met tous les hommes à la même hauteur, les rappelant ainsi à l’humilité de leur condition… On peut être l’une des personnes les plus riches et les plus influentes du monde, et ressentir pourtant jusqu’au fond de ses entrailles la douleur d’une passion sans réciprocité, l’impuissance face à l’indifférence de l’être aimé, la crainte de le voir s’éloigner pour toujours ; on peut, même avec la vie la plus remplie, éprouver, sitôt qu’un amour déçu nous prive de substance, la vacuité et l’absurdité de sa propre existence. La chair s’amollit, l’esprit s’éteint, le regard se noie dans l’absence de l’autre, ou à mesure qu’il prend ses distances.
Impression #9
Parmi tout ce que l’on peut lire, que retient-on au-delà de quelques heures, de quelques jours ? Sans même parler du style, qu’emporte-t-on avec soi des idées, du récit, sinon quelques impressions diffuses ? Notre attention n’est jamais que de passage…
À l’exception peut-être de l’écriture, qui consiste donc à produire des phrases plus éphémères que la brume, la lecture est ainsi l’une des activités les plus inefficaces qui soient. C’est aussi l’une des plus agréables… La contradiction n’est qu’apparente : lire revient à s’abandonner enfin à l’instant présent, à se laisser captiver par les papillons qui s’envolent d’entre les pages, sans que rien d’autre ne compte.
Impression #8
L’art est le meilleur compagnon de toutes les solitudes.
Impression #7
Révolution française : l’Histoire avec une grande hache.
Impression #6
Tu es une feuille d’arbre, légère et fragile, suspendue dans l’air, éphémère. Tu ne tiens que par une branche, reliée à un tronc qui s’ancre à la terre par ses racines. Une bourrasque ou un revirement de saison peuvent d’un coup te faire choir. Et pourtant, c’est par toi et par toutes les autres feuilles qui comme toi sont légères, fragiles et éphémères, que le vent peut, en vous gonflant comme des voiles, trouver la force de déraciner l’arbre tout entier.
Impression #5
Les cantiques sont des chants que les hommes adressent à Dieu. La quantique est le chant que Dieu adresse aux hommes.
Impression #4
Chaque mot est une étoile, chaque phrase une constellation. Tous les livres sont dans le ciel – à moins que le ciel ne soit dans les livres.
Impression #3
Le vent d’hiver s’engouffre avec fureur entre les immeubles vertigineux. La ville résonne comme un orgue.
Impression #2
Les jours où je ne fais rien passent toujours plus vite que ceux où je m’active sans relâche. Le temps vide est plus liquide que le temps plein ; les occupations ne sont que viscosité.
Impression #1
Mon esprit est une ville, avec ses palais luxueux et ses taudis branlants, ses marbres glorieux et ses égouts puants, ses jardins radieux et ses venelles sordides, ses larges avenues et ses cachots humides.
Mon esprit est une ville, et j’en suis à la fois seigneur et prisonnier.