Encore quelques mots sur Ātman, sur le transhumanisme, et sur la présidentielle…
« Qu’est-ce qui vous a donné une idée aussi bizarre ? » Telle est la question que m’a posée Bruno David, président du Muséum national d’histoire naturelle, lors de la remise du Prix du Muséum littéraire pour ma nouvelle, Ātman…
Il n’est jamais simple de remonter à la source d’une inspiration. Dans cette courte vidéo, je tente malgré tout de répondre à sa question.
Le thème du concours, « Sans limites », était une invitation généreuse, qu’un auteur féru de science-fiction pouvait difficilement refuser alors que le genre ne cesse justement de s’interroger sur les limites, d’imaginer comment les repousser, comment les transcender – et d’envisager, souvent avec appréhension, le prix de ces dépassements.
J’ai imaginé de projeter cette fable transhumaniste dans l’Inde des castes parce que je crois que le transhumanisme est l’avenir de l’inégalité ; je crois qu’aux inégalités matérielles, politiques et socio-économiques s’ajouteront un jour les inégalités dans le degré d’hybridation ou d’augmentation technologique, les unes renforçant les autres jusqu’à faire peut-être des humains les plus « évolués » de nouvelles divinités, parées de nos croyances anciennes et de notre quête éternelle de transcendance…
En cela, j’ai bien sûr été inspiré par l’exposition « Aux frontières de l’humain », organisée par le Musée de l’Homme, et qui a donné lieu au concours : du dopage à l’immortalité, et des chimères aux cyborgs, elle tend à l’Homme un miroir déformant, l’interrogeant sur son devenir à l’heure des technologies NBIC. C’était en effet l’occasion d’un beau dialogue entre science et imaginaire… Comme l’a dit Bruno David lors de la cérémonie de remise des prix, un tel dialogue est d’ailleurs bénéfique à ces deux champs d’exercice de l’esprit ; j’ajouterais qu’il est nécessaire à toute démarche de prospective, ainsi qu’en témoigne également l’initiative « Red Team Défense », qui voit des artistes collaborer avec l’État-major des armées français pour imaginer les menaces stratégiques de demain. « Toute science a besoin de fiction, toute conscience d’imagination », déclare un personnage de ma nouvelle. Sans doute pourrait-on lui rétorquer que la réciproque est aussi vraie…
« Sans limites », donc ? Et si la plus grande de nos limites était justement celle de notre capacité à anticiper et à préparer l’avenir ? La lenteur de notre réaction à la crise environnementale, notre impréparation face à la pandémie de COVID-19 et notre surprise au déclenchement de la guerre en Ukraine ne marquent-elles pas cette défaillance collective ?
Le devenir de l’espèce humaine est-il alors un autre de nos angles morts ? Pendant la campagne présidentielle française qui vient de s’achever, on a parlé de l’avenir du portefeuille des Français – passionnément –, de l’avenir de la France – beaucoup –, de celui de l’Europe et de la planète – un peu –, mais de celui de l’Homme en tant qu’espèce, pas du tout. Il n’y a guère eu de débat sur l’intelligence artificielle, sur les biotechnologies, sur le transhumanisme…
Le transhumanisme, bâtard né de notre sublime quête de transcendance et de notre narcissisme le plus mesquin, n’est-il pas justement le reflet de notre difficulté à penser le monde et l’avenir hors de nous-mêmes ?
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